Le soleil étai haut dans le ciel, et la chaleur de l'été se faisait de plus en plus lourde au fil des jours. Mais Hatari ne la craignait pas, lui qui avait passé la plus grande partie de sa vie dans le désert. Pourtant, depuis qu'il avait quitté ce dernier - il y a presque une année de cela - il avait changé. Aussi bien moralement que physiquement. Son pelage n'avait guère changé, mais il avait pris du muscle, et un peu de poids grâce aux proies plus faciles à trouver. Sa crinière avait poussé, et ses mèches désordonnées s'agitaient désormais au rythme de la légère brise. Quant à son caractère, c'était quelque chose de difficile à percevoir. Il s'était renfermé - comme il l'avait toujours été - mais était aussi devenu plus sauvage et plus méfiant. Il était las de tout cela, et n'aspirait qu'à prendre sa revanche sur le passé. Mais il n'était pas temps. Pas encore.

Chaque jour, il se rapprochait un peu plus des Pridelanders. Il avait déjà dépassé leurs Terres - conquises par les Nyeusis - depuis longtemps. La guerre avait semé quelques imprévus, mais rien qui ne le découragerait. Plus il se rapprochait des retrouvailles avec ses anciens compagnons, plus il rêvait de ce qui allait se passer. Il obtiendrait toutes les réponses à ses questions, et pourrait enfin comprendre. Et ensuite, il trouverait Usiku. Et il le ferait payer. Payer pour ces longues années de solitude. Payer pour cette vie qu'il n'avait jamais souhaité. Payer pour l'enfance que son jumeau lui avait volé. C'était l'unique raison de sa venue jusqu'au grand baobab. Les retrouvailles n'étaient désormais plus qu'une question de temps, et il ne laisserait personne se mettre en travers de sa route.

S'il n'était pas encore arrivé, il aperçut bientôt un groupe de lion. S'il ses muscles se crispèrent un instant, il n'en perdit pas moins son rythme de marche. Il ne s'attendait pas à les trouver aussi rapidement, mais peu importait. Quelle serait la différence ? Pourtant, lorsqu'en se rapprochant, il découvrit des pelages foncés, qu'il avait déjà aperçut, un infime soulagement s'empara de lui. Ce n'était pas les Pridelanders, mais les Mositus. Ainsi, après leur défaite, c'était ici qu'ils s'étaient réfugiés. Si loin du désert, et d'Akili. Savait-il que ce dernier n'était plus ? Rien n'était moins sur. Et bientôt, une masse trapu se détacha du groupe, un lion au pelage gris et à la crinière foncée. Lukah. Celui-là même qui avait risqué sa vie pour donner une autre chance à Valaka et Hatari.

[J'espère que ça te va, sinon, dis le moi ]

Tandis que le mâle trapu se rapprochait, Hatari continua sa route, jusqu'à se retrouver face à face avec le Mositu. Il était bien plus massif et imposant que lui, mais l'exilé savait qu'il n'avait rien à craindre, du moins pour le moment. Ce fut d'une voix puissante que le mâle parla :

─ Je me souviens de toi. Je ne pensais pas que nos routes se recroiseraient, Exilé.

Ainsi, lui aussi se rappelait. C'était au moins une chose qu'Hatari n'aurait pas à expliquer. Exilé, l'avait-il appelé. Était-ce volontaire, ou ne connaissait-il simplement pas son nom ? Néanmoins, le mâle couleur sable ne réagit pas. Il ne considérait pas réellement cela comme un titre négatif ou rabaissant. Au contraire. Cela signifiait qu'il était libre, hors-la-loi, et qu'il n'avait besoin de personne pour vivre sa vie et tracer son destin. Et c'était exactement ce que pensait Hatari. Et même si peu connaissait son histoire, cela n'importait pas. Il était libre, et ce plus que bien des lions qui disaient l'être sans l'être réellement. Alors, il répondit d'une voix neutre :

─ Elles n'étaient pas censés se recroiser. La guerre a seulement changé des choses.

Ce disant, il scruta la troupe de lions à quelques mètres de là. Ils ne semblaient pas trop mal en point, mais le mâle savait combien cela pouvait n'être qu'une façade. Il était facile de paraitre en bonne santé et heureux quand on était détruit de l'intérieur. Simplement pour ne pas subir le regard et les questions des autres. Ou pour tenter d'échapper à quelque chose d'incontrôlable.

─ C'est donc ici que vous vous êtes installés ?

Le grand mâle acquiesça, et confirma ses dire. En ajoutant qu'ils cohabitaient avec les Pridelanders. Hatari ne répondit rien, pensant secrètement que, s'ils avaient l'occasion de se rencontrer à nouveau, c'était par le biais de ces derniers. Lui était venu pour les trouver, eux, et un en particulier. Pas au hasard, ni même pour trouver les Mositus. Non, juste un Pridelander. Un seul. Hatari songea tout de même que, pour que deux clans - habituellement peu proches - cohabitent, c'est que le Clan qui les avaient chassé devait être particulièrement redoutable. Il ne se doutait seulement pas que les Nyeusis avait aussi provoqué la mort du Roi des Nordiques. Ainsi, c'était plusieurs Clans qui se retrouvaient impliqués, et pas un seul. La Terre des lions changeait, sans aucun doute.

─ Je me nomme Lukah, ancien Jangowa maintenant dévoué aux Mositus. Je salue votre courage lors de la bataille, il n'est pas aisé de se rebeller sans force d'esprit. Et vous ? Comment vous nommez-vous ?

Lukah. L'exilé ne s'était pas trompé. Il ne le connaissait guère, mais ce personnage l'avait marqué, par sa prestance et son honneur. Il avait préféré battre en retraite et jouer son honneur plutôt que de persister dans son rang et sacrifier les siens. Pour un tel lion, Hatari se serait battu. Pas contre. Ce qu'il ne savait pas, c'était que Lukah était un ancien Jangowa. Il aurait pu s'en douter - cependant - à la vue de son pelage. Néanmoins, sa carrure et sa crinière démontraient le contraire. C'était étrange. Reportant son regard dans celui du grand mâle, Hatari répondit enfin :

─ Il n'est pas question de se rebeller ou non, il s'agit simplement des valeurs que l'on souhaite suivre.

Il soutînt le regard du Mositus un long moment, avant d'ajouter :

─ Je suis Hatari, exilé Jangowa.

Cependant, une question persistait dans son esprit. Et si quelques mois auparavant, il n'aurait pas osé la poser, son nouveau caractère - forgé par son exil - ne voyait pas de problèmes à la poser. Peu importait la réaction de Lukah. Il ne voulait plus faire de manière, que cela plaise ou non. Alors, d'un ton neutre, il lâcha :

─ Ancien Jangowa ?

Si Lukah le salua aimablement, il n'en conserva pas moins un air réservé. Avant même qu'il n'ai déclarait ce qu'il pensait, Hatari soupira. Il était comme beaucoup, à révéler un peu, sans vouloir se montrer plus. A croire que, tant qu'il ne révélait rien, il était maître de la situation. Mais ce n'était pas le cas. Jamais. C'était étonnant, l'exilé aurait cru qu'il n'était pas de ceux qui étaient réticent à se montrer.

─ Exact. Mais avant toute chose, c'est moi qui pose les questions ici : que faites-vous si proche du Baobab ?

Le regard que le grand mâle Mositu tenait alors ne fit pas ciller Hatari. Bien au contraire. Ce dernier le pris comme un défi, et releva la tête. Il ne détacherait pas son regard de celui du lion beige. Si on pouvait y lire une volonté farouche et lueur sauvage, il y brillait aussi une petite étincelle de tristesse et de colère qui ne s'était jamais éteinte. Mais Lukah ne pouvait en connaître la cause. Ou seulement une infime partie. Le jeune mâle fronça les sourcils, presque au point de découvrir ses crocs, avant de marquer un temps d'arrêt. Lukah voulait se montrer méfiant ? Qu'il le fasse. Hatari ne craignait rien ni personne, et s'il pensait avoir trouvé en Lukah un lion honorable, il s'était peut-être en parti trompé. Mais peu importait.

─ Tu n'es pas le Chef ici, Lukah. Pas plus que n'importe lequel de ces lions. Ces Terres n'appartiennent à personne, et si tu es à la tête de ton Clan, je ne te dois rien.

Sa voix était basse, mais n'en était pas pour autant froide ou menaçante. Non. Il ne faisait que répondre à la remarque du grand mâle. Ce n'était pas plus à lui qu'à Hatari de mener la conversation. Certes, il s'était installé ici avec ses compagnons, mais cela ne faisait pas de lui le Roi de ses Terres. Il n'y en avait pas. Ici, chacun était maître de ses pas. Néanmoins, ne désirant pas rester sur une mauvaise touche avec les Mositus - qui semblaient être de lions plutôt plaisants - Hatari laissa planer quelques instants de silence, avant de déclarer :

─ Je ne savais pas que vous vous trouviez ici. Je suis à la recherche des Pridelanders. D'un Pridelanders, exactement.

Il parlait de sécurité et de méfiance, mais qu'en était-il réellement ? Chacun n'était-il pas - par nature - toujours en danger ? A n'importe quel instant, la nature pouvait décider de tout faire basculer, sans que personne ne puisse intervenir. Et si la hiérarchie et l'organisation des Clans donnaient parfois l'impression d'être en sécurité, ce n'était qu'une illusion. Hatari l'avait découvert durant sa vie de solitaire. Il était si facile de transgresser les lois et la hiérarchie, les frontières. De faire fi des limites, et de vivre sa vie comme on l'entendait. Ce n'était pas cela qui assurait la sécurité. Le Clan n'était qu'une illusion, une fausse protection, un bouclier imaginaire. Car quand le Clan n'était plus là, alors tout s'effondrait. Pour certain. Pas pour l'exilé. Cela n'avait fait que le rendre plus fort et plus libre.

─ Je sens de l'agitation chez les Pridelanders également. Si vous y cherchez quelqu'un, faites vite : les choses semblent bouger chez eux aussi.

Hatari détourna les yeux du regard de Lukah. Qu'importe que les Pridelanders bougent, ils les suivraient. Qu'importe que le leader change, cela ne changerait rien à son but. Ils ne pourraient s'enfuir plus loin que lui. Ce n'était pas cela qui lui posait question. Non, loin de là. C'était plutôt de savoir si ils étaient vivants. Encore avec les Pridelanders. Étaient-ils partis ? Étaient-ils morts pendant la guerre ? Et lui en particulier, qu'était-il devenu ? Avait-il changé ? Que trouveraient-ils à lui dire ? Tant de questions qui restaient sans réponse depuis des années, il était temps d'y mettre un terme. Néanmoins, tout cela ne regardait pas Lukah, aussi compréhensif puisse t-il être.

─ Cela ne changera pas grand chose. Néanmoins, je te remercie de m'avertir. J'espère que les temps sauront se montrer clément pour ton Clan. Je n'ai pas oublié ce que tu as fais pour nous.