Kutoa soupira, toujours couché sur son rocher favori. À présent que son entraînement de Kulisha était terminé, il n'avait plus rien à faire de ses journées : il s'ennuyait à mort. Certes, il pouvait aider à la chasse, mais sa flemmardise toute nouvelle l'en empêchait. Il pouvait également se taper la causette avec ses amis, mais ils n'avaient pas grand chose à se dire : ils se considéraient presque tous comme des frères et sœurs, et partageaient leurs journées ensembles. Cela ne leurs empêchaient pas d'avoir des secrets, cependant, ils n'intéressaient pas Kutoa. Sauf s'il pouvait y avoir une quelconque information à propos du roi et du prince en exil : après tout, Sharkan comptait bien un jour organiser une chasse au roi, et il y avait des rebelles prêts à le trahir. Quand aurait lieu cet événement qui restera dans les mémoires ? Kutoa l'ignorait, mais il était prêt. Il traquerait ces lions jours et nuits, les trouverait et les égorgerait avec ses camarades Kulishas. Un rictus sadique traversa le visage grisâtre du jeune lion. D'un bond, Kutoa se leva, soudain revigoré. Bien ... Et s'il se baladait sur le territoire ? Qui sait, peut-être tomberait-il par pur hasard sur les fugitifs ! Et quel meilleur endroit pour se cacher que la Jungle des Gorilles ?



Kutoa descendit de son rocher et se hâta au petit trot vers la forêt vierge. Il se fit interpellé plusieurs fois par les nourrices Kulishas, qui lui demandèrent où est-ce qu'il allait. Il répondit à chacune d'entre elles, sans pour autant s'arrêter. Ces lionnes avaient tendance à trop s'inquiéter.

Kutoa arriva finalement à la Jungle des Gorilles au bout de quelques minutes. Il constata avec satisfaction qu'il n'était même pas essoufflé. Son entraînement intensif avait vraiment payé. Le jeune lion pénétra dans forêt vierge un peu plus profondément, savourant l'humidité et la fraîcheur de l'air qui contrastaient avec la Saison Sèche. Il sentait sur lui les yeux des singes ainsi que leur murmures sur son passage, mais il n'y prêta pas attention. Où étaient donc les fugitifs ? Kutoa ouvrit légèrement la gueule et huma l'air. Il sentit alors une odeur vaguement familière qui le surprit. Ce fumet était celui d'un Jangowa, mais étrangement atténué et mêlé d'autres effluves. Prit d'un doute et prêt à en découdre, Kutoa se tapit au sol, caché par la végétation, et banda ses muscles, prêt à attaquer.



Kutoa n'apprécia pas du tout la pique du petit gorille, et son côté belliqueux ressortit. Le jeune lion émergea des plantes pour se révéler au grand jour, les crocs à découverts, les muscles et le pelage gonflés, la crinière en bataille, bref menaçant. De plus, son entraînement de guerrier le rendait vraiment imposant. Ses yeux de saphir lançant des éclairs, il rétorqua en grondant :



Kutoa ne s'adressait alors pas seulement à ce singe, mais à tout ceux qui pouvaient l'entendre. Dans tous les cas, ce gorille ne fit pas le fier après la menace du jeune lion et retourna dans son arbre vite fait bien fait.
Bien, au moins, il n'est suicidaire. Lui, je n'aurais pas attendu que Sharkan vienne pour lui faire la peau.
Songea le Kulisha avant de reporter son attention sur l'intrus, ou plutôt l'intruse.

Ce pelage de soleil et de nuage, ces yeux d'azur ... S'agirait-il de Niwata ? La Jangowa ? La "petite" qu'il avait croisé lors d'une promenade à la frontière du Grand Désert ? Oui, il n'y avait aucun doute là-dessus. Kutoa relâcha ses muscles, passa rapidement sa patte sur sa crinière rebelle pour la remettre en place, et fit un grand sourire charmeur à la lionne. Il s'avança de quelques pas vers elle.



Il avait pris un ton enjôleur, tout en faignant la surprise. Il savait parfaitement qu'il avait Niwata en face de lui. Qu'est-ce qu'elle avait grandi ! Il ne pourrait plus la surnommer "Petite" à présent.

Kutoa se félicita mentalement en voyant la gêne de Niwata face à son sourire. Eh, c'est qu'il s'était entraîné des jours et quelques nuits pour le maîtriser ! Elle regardait fixement le sol, refusant de le croiser son regard. Cependant, elle releva d'un seul coup la tête à l'appel de son nom, oubliant toute gêne, du moins, en apparence. La Jangowa mit alors à l'observer en détail, et Kutoa en profita pour gonfler ses muscles pour paraître plus imposant. "Ce sont les forts qui gagnent dans ce monde cruel. Si tu es faible, tu finiras seul et ne pourra t'en prendre qu'à toi-même", voilà la doctrine qui a guidé l'entraînement de Kutoa durant son enfance et son adolescence.



Le jeune lion sourit à l'appel de son prénom. Finalement, Niwata n'avait pas eu tant de mal que ça de se souvenir de lui, et cette constatation le réjouit bien plus que nécessaire. Il en eut presque honte. Après tout, elle n'était qu'une lionne comme une autre : elle n'était pas plus belle que certaines Kulishas et n'avait aucune réelle caractéristique propre à l'exception de son beau pelage. S'il la draguait, ce n'était que pour s'amuser, pas pour autre chose. N'est-ce pas ? Dans tous les cas, c'était ce dont il essayait de se persuader.

Niwata, qui semblait jusqu'alors pas très à l'aise, se redressa, bien droite sur ses délicates pattes. Elle reprenait contenance petit à petit, bien qu'une lueur d'hésitation continuait de briller dans son regard rappelant le ciel du soir. Elle réussit même à enlever le petit sourire en coin qu'elle avait eu depuis qu'il lui avait adressé la parole. Kutoa ne put s'empêcher de s'attendrir sur la jeune lionne, qui tentait définitivement de faire bonne impression devant lui. Le silence fut finalement rompu lorsque Niwata prit enfin la parole :



Et elle quitta sa timidité passagère pour laisser place à son sourire et à ses yeux moqueurs, pour le regarder avec un certain mépris, comme lorsqu'ils s'étaient rencontrés pour la première fois. Cela blessa légèrement le Kulisha. Il avait bien vu il y a quelques secondes que cette personnalité de mauvaise fille qu'elle essayait de se donner n'était pas la sienne. Pourquoi cacher sa véritable nature ? Kutoa soupira d'exaspération avant de retrouver son sourire. Ah, les femelles. Il ne les comprendra sans doute jamais. Elles pouvaient vous égorger pour un oui ou un non, tout comme vous tomber dans les pattes si vous vous montriez galant et courtois. Kutoa s'avança de quelques pas, dominant l'adolescente de sa taille.



Répondit-il en s'asseyant, posant une de ses grosses pattes sur son torse bombé, couvert d'une crinière rousse, fier comme un paon. Eh, il n'avait pas l'habitude qu'on le nomme "suicidaire", mais il aimait bien ce surnom. Après tout, il était tellement dévoué à Sharkan qu'il serait à se jeter dans la gueule d'un crocodile si le tyran le lui ordonnait. N'est-ce pas là une forme de suicide ? Kutoa ricana légèrement à l'idée avant de reporter son regard de saphir sur la jeune lionne. Elle semblait avoir maigri, et son corps était bien plus musclé que par le passé. Le Kulisha connaissait les pratiques Jangowa, dont celle des adolescents qui partent en exil, mais il était à peu près persuadé que seuls les mâles le faisait. Se serait-il trompé ? Dans le doute, il demanda.



Il n'était pas dans ses habitudes de se montrer aussi curieux, mais c'était pour le bien de Freeland. Si Niwata se révélait réellement être une menace, il n'hésiterait pas une seconde pour l'éliminer sans regret. Du moins, il le pensait.

Niwata : “ Je ne suis plus Jangowa, Kutoa .. Et ce depuis le début de l'adolescence. J'ai quitté mon Clan et ait choisi de prendre la route tracée des voyageurs. Cependant, et comme tu te doutes sûrement dans le cas contraire, je ne voyage pas seule : Quelqu'un est avec moi, mais je pense que cela ne sert de te le présenter : On ne va presque jamais sur Freeland et puis il n'a pas la tête à faire de mal à une mouche, crois-moi. „

Niwata : “ Enfin, de toute manière, si j'étais toujours Jangowa à cette heure-ci, nul doute que tu ne m'aurais pas vu ici, aujourd'hui ! Seulement les mâles à l'âge d'adolescence font l'exil dans le Clan, tandis que les femelles, elles, ne voient pas leurs activités changer : Elles sont avec les autres Jangowas. „

Niwata : “ ... Et toi ? Ne m'avais-tu pas dit la dernière fois que tu étais un "Kulisha" ? Honnêtement, on ne m'en a jamais parlé, que ce soit lorsque j'étais avec les Jangowas ou alors sur la frontière, de ce Clan. Alors, puis-je en savoir un peu plus afin d'effacer ma curiosité ? Es-tu donc devenu un véritable guerrier ou alors es-tu toujours en apprentissage ? À ton âge, je ne crois pas que la deuxième option soit possible, mais peut-être que je me trompe ... „

Kutoa : “ Effectivement, j'ai officiellement terminé mon entraînement. À présent, je suis prêt à défendre mon roi au prix de ma vie et à éliminer les monarques fugitifs ainsi que les rebelles qui leur sont fidèles. „

Kutoa : “ Mais la vie est un éternel apprentissage. On peut dire que nous sommes des apprentis pour toujours ! „

Kutoa : “ Et là, tu viens d'apprendre qu'il faut toujours être sur ses gardes ! „

Niwata : “ Pour toi, je crois qu'aujourd'hui, tu as appris qu'il fallait toujours se méfier des gestes affectueux ! „

Niwata : “ J'ai encore beaucoup de choses à apprendre sur la Terre des Lions ... Tout à l'heure, en t'écoutant, j'ai remarqué que les Freelanders et les Jangowas étaient très différents ... Les autres Clans le sont aussi, j'imagine. Non ? „

Kutoa : “ C'est vrai „, puis il ajouta d'un air malicieux, Mais les Jangowas sont les seuls à avoir un Empereur !

Kutoa : “ Et toi, tu es bien la seule Jangowa à illuminer ma journée ainsi. „

Kutoa avait chaud, très chaud, et il aurait été prêt à parier que même un saut dans le Mochanga en pleine saison des pluies ne l'aurait pas refroidi. Sans oublier tous ces papillons qui dansaient comme si leur vie en dépendait dans son ventre. Le Kulisha déglutit difficilement, se rendant soudain compte de la proximité de Niwata et de toutes ces sensations nouvelles. Il avait l'impression de pouvoir sentir chaque poil de la lionne qui était en contact avec les siens. L'ex-Jangowa balbutia alors un remerciement, ne faisant qu'accentuer la chaleur qui montait aux joues du guerrier tout en réveillant sa libido.
Bon sang, faut que je me reprenne !



Kutoa secoua négativement de la tête pour signifier qu'il n'y portait pas d'importance. Le passé était le passé. Il fallait à présent se tourner vers l'avenir tout en visant la gloire. Si seulement il pouvait avoir la peau de ce Déjem ! Ou d'Haki, peu importait. Tout ce que le Kulisha désirait, c'était la reconnaissance de Sharkan. Que son roi le remarque et le félicite. Peut-être qu'ainsi il pourrait gravir les échelons chez les Freelanders et devenir un membre important du clan ? Kutoa était reconnaissant aux nourrices de l'avoir élevé lorsque sa sœur avait disparu, mais il ressentait comme le devoir de faire quelque chose par lui-même et d'être reconnu pour cela. Le soldat décida cependant de ne pas partager son avis avec l'ex-Jangowa, de peur de sa réaction. Et puis, elle ne pourrait pas comprendre, elle n'était qu'une femelle après tout.



Puis le guerrier laissa son regard dans le vague, songeant à son enfance. Sa vie à l'époque lui avait semblé être le paradis : son père était amusant, sa mère gentille, les lionnes du petit clan attentionnées (surtout une certaine Andha) et sa sœur ... Il la rangeait jusqu'au rang d'être surnaturel tant elle lui avait semblé parfaite. Bref, c'était une vie de pur bonheur. Jusqu'à la mort de ses parents par accident. Depuis, la vie de Kutoa a été chamboulé du tout au tout.

Alors que le rouquin se remémorait son arrivée chez les Kulishas, un éclat de voix familier le sortit de ses pensées. Soudain très attentif, Kutoa se redressa, les oreilles bien droites et la gueule entrouverte pour humer l'air. Alfajiri et Lutelo, les deux inséparables. Attendez ... C'était mauvais ! Très mauvais ! Il ne fallait surtout pas qu'ils le voient en compagnie d'une étrangère, sinon sa place dans le clan serait remise en question ! Inquiet, Kutoa se tourna vivement vers Niwata et lui murmura précipitamment avec un air grave.



Il était vrai que s'il osait s'opposer et protéger la voyageuse, il y aurait de grandes chances qu'il se fasse exilé du clan par Sharkan, qui ne voulait que des lions loyaux à ses côtés. Ce qui se comprenait par ces temps troublés. De plus, le balafré ne pouvait compter sur la discrétion de ses camarades, il savait Alfajiri parfaitement incapable de garder un secret. Kutoa hésita un instant tout en jetant un regard inquiet à Niwata, avant de finalement s'éloigner en courant, espérant que la lionne au pelage de soleil fasse de même avant que les autres ne l'attrapent.