C'était la fin de l'après-midi, le début du soir, l'arrivée du crépuscule. Le calme s'abattit sur la Lande des Sans-Terre. Devant les rayons d'or d'un soleil couchant à l'horizon, deux lionnes étaient allongés sur une petite colline et avaient plongés leurs iris sur la magnificence de ce moment, et ce, malgré les nombreuses fois qu'il avait été observé. Les deux femelles, d'une brune couleur chacune ne bougeaient pas, ne se parlaient pas et se contentaient de se taire en inspirant l'air du soir. Où étaient les autres Mositus ? Ou même les Pridelanders ? Pas très loin sans doute. Tous devaient digérer un récent repas.

Au bout d'un moment, l'une des deux lionnes, la plus jeune, se leva et s'étira sous le regard de sa vieille mère. Les yeux verdoyants de la jeune femelle paraissait terne sous la lueur crépusculaire des derniers rayons de l'astre solaire. L'autre lionne l'interrogea du regard mais sa fille s'éloigna d'elle, apparemment lassé de la contemplation. Elle n'alla pas rejoindre les autres membres de son clan, bien au contraire, elle s'éclipsa plus loin dans la lande, traînant la patte sur le soleil coloré de la lumière orange du coucher de soleil qui caressait également son corps à la gracile silhouette.

Sa patte atterrit dans la vase. La lionne serra les dents, ne s'étant pas rendu compte qu'elle venait de pénétrer le Passage Marécageux. C'était bien là son choix de destination, cependant, perdue dans ses pensées, elle n'avait pas remarqué qu'elle venait d'arriver. La boue ne la dégoûtait pas vraiment, elle s'en moquait un peu à vrai dire mais son instinct de félin la poussa tout de même à avancer sur un chemin un peu plus stable. Au loin, le soleil descendant derrière la lande offrait encore quelques instants de lumière mais de l'autre côté, le manteau voilé de la nuit s'étendait déjà et les étoiles scintillaient déjà à leur place. Vukia avait simplement besoin d'un peu de solitude, elle rejoindrait son clan plus tard. Errer dans la nuit calmait son esprit enragé par ce qui arrivait aux siens. Cela faisait combien de temps maintenant qu'ils avaient été chassé ? Déjà trop longtemps pour elle. Depuis ce jour, elle n'avait de cesse de se remémorer son échec face aux Jangowas alors qu'elle s'était juré de défendre son clan quoi qu'il arrivait. Se retrouver ici, avec qui plus est un autre clan de lion, quelle humiliation ! Un coup de griffe s'abattit soudainement sur un rocher qui s'entailla profondément en quatre stries bien distinctes. Autant se passer les nerfs sur les rochers. La jeune lionne poursuivit sa marche dans les profondeurs marécageuses des lieux. Soudain, elle entendit un bruit et se stoppa net. Vukia redressa la tête en regardant autour d'elle, sentant une présence. Ses iris d'émeraude scrutait les environs tandis que ses oreilles se couchèrent doucement vers l'arrière.

L'oreille alerte, l'oeil qui scintillait dans l'ombre, reflet de la lune, ou d'une étoile qui sait, Vukia n'avait plus fait un pas dès lors qu'elle avait entendu ce son suspect. Elle scrutait les lieux avec la ferme conviction d'être épiée. Dans le noir qui s'était abattu, ou le soleil n'était plus au loin qu'un faible halo mélangeant orange et violet, formant une douce couleur rosée, on y voyait déjà moins bien et n'importe qu'elle silhouette tapi dans la vase pouvait être confondu avec un rocher qui traînait aux alentours.

Soudain, une forme mouvante se fit voir et Vukia traça immédiatement son regard d'émeraude dans la dite direction. Elle vit alors une forme sombre s'extraire des ombres des marécages. La jeune lionne plaqua ses oreilles sur sa nuque, fronçant les sourcils, tandis que la silhouette qui se dessinait petit à petit, au fur et à mesure qu'elle se remettait sur ses pattes, dévoila celle d'un lion d'une taille assez imposante, quoi que plus maigre qu'on ne pourrait le croire. A la pâle lueur de la lune, Vukia distingua le pelage foncé du mâle, puis les étranges cicatrices qui parcouraient son corps. En soi, un physique peu enclin à se faire passer pour inoffensif. Mais Vukia ne connaissait pas ce lion et quelque soit les allures de sa corpulence, un lion inconnu n'était pas un lion contre qui relâcher sa garde.

L'émeraude des iris de Vukia se plongèrent dans les saphirs qui servaient de prunelle au grand mâle tandis qu'elle lâcha machinalement un grondement sourd du fond de sa gorge. C'est alors que l'inconnu lui dit d'un ton doucereux :

"Que fais-tu si loin des autres, jeune lionne ? L'endroit n'est pas l'idéal pour une balade au clair de lune, sais-tu ?"

Vukia fouetta l'air de sa queue en signe d'irritation. Elle ne lâchait pas l'individu du regard, ne sachant pas même de quel clan il venait. Ce qui était certain, c'est qu'elle ne l'avait jamais vu dans le sien, bien qu'il avait une couleur de pelage qui aurait très bien convenu. De part les cicatrices qu'il avait sur le corps, la jeune lionne devina un combattant. Elle savait pourtant que les siens prônaient pas forcément ce genre de pratique. Mais de part cette déduction, elle savait qu'elle ne devra pas le sous estimer.

- Qui es-tu ? répliqua la femelle sans cacher son agressivité dans sa voix, si je suis loin des autres, ce n'est certainement pas pour être interpellé par le premier venu.

"Sois plutôt reconnaissante que le premier venu ne soit pas un étranger, jeune insensée... Je viens seulement m'enquérir de ta sécurité ; l'endroit est loin d'être sûr à la tombée de la nuit." répondit le mâle sinistre.

Loin d'être reconnaissante comme l'exigeait le lion, Vukia ne cessait de le fusiller du regard. Elle restait sur une défensive certaine et ne se laissa pas impressionner par la carrure du grand mâle. Finalement, elle se décida tout de même à faire l'effort de lui répondre, bien que gardant un ton froid et empli d'assurance :

- Il n'est pas nécessaire de s'inquiéter de ma sécurité. Et ce, qui que tu sois. Cet endroit, je l'ai déjà parcouru maintes et maintes fois.

Elle souffla avec hargne avant de reprendre pourtant d'une voix plus calme :

- Etranger ou non, cela ne change pas le fait qu'une présence trouble ma solitude.

En effet, si ça aurait été une connaissance du clan, elle ne l'aurait pas mieux accueillir. Quand Vukia désirait être seule, elle voulait être seule. Sa mère le savait déjà bien et c'était la raison pour laquelle, elle l'avait laissé partir. Il y avait des moments comme ceux là où Vukia ressentait dans son isolement quelque chose de réconfortant.

"Je vois et comprends ta méfiance, jeune lionne. Cela dit, tu serais surprise d'apprendre d'où je viens. Mes effluves devraient te dire quelque chose. Qu'en pense-tu ?"

- Oh mais je sais qui tu es, répliqua la lionne.

A vrai dire, elle venait seulement de s'en rendre compte. Elle avait simplement un doute sur l'identité du lion. Mais d'après ce qu'elle savait de lui, de ce que sa mère savait de lui, de ce qu'elle lui avait raconté, il était très probable qu'il soit Kuzimu. Mais Vukia ne l'avait jamais vu et n'avait pas vraiment tenu beaucoup d'intérêt aux discours des autres à son égard. La lionne se méfiait de tout animal inconnu. Ce lion n'en était qu'un de plus, juste qu'il y avait un nom à mettre dessus. De même que la féline n'exprimait nullement une expression de surprise devant le grand mâle. Devant les autres, Vukia exprimait peu ce genre d'émotion. La tristesse, la surprise, l'effroi ou l'ignorance. Elle avait appris à les cacher. Sa mère lui avait toujours apprit à conserver au fond d'elle ce qui risquerait d'aider l'ennemi éventuel. Mais la jeune lionne ne se dévoilait même plus à sa mère. Tout n'agissait que lorsqu'elle était vraiment seule.

- J'ai entendu parler de toi, poursuivit la femelle, des discours très similaire un peu chez tout le monde.

Faisant face au mâle, Vukia gardait les sourcils froncés, les oreilles en arrière et le regard qui lançait des éclairs. L'agitation de sa queue s'était néanmoins calmée un peu. Seule la touffe remuait encore de droite à gauche. Sous son pelage sombre se voyait sa musculature qui roulait sous sa peau à chacun de ses mouvements.

- Mais ce genre de discours m'importent peu, ajouta t-elle d'une voix forte et franche, je n'ai que faire de l'avis des autres sur un individu. C'est à moi de juger ce qu'il est.

Lorsque l'on avait été élevé avec la seule règle que les plus gros mangeaient les plus petits, dans l'optique de la loi de la jungle, la loi du plus fort, alors qu'on vivait dans un clan pacifique, on avait tendance à sous estimer les autres. Mais Vukia n'avait heureusement pas pris ce défaut. Elle ne sous estimait jamais ceux qu'elle avait en face d'elle mais elle avait connaissance de ses forces comme de ses limites et usait de beaucoup d'analyses quand elle rencontrait quelqu'un.

- Je me doute bien que tu n'es pas venu ici uniquement parce qu'une lionne telle que moi y était. Le hasard fait simplement mal les choses voilà tout. Que fais-tu vraiment ici ? Si près du clan ?

Vukia pourrait se retrouver face à un terrible Nyeusis qu'elle n'aurait pas plus peur, tout comme l'instant où elle faisait face à Kuzimu. "Si tu as peur, tes ennemis le sentiront et seront sans pitié" répétait la mère de la jeune lionne alors qu'elle n'était encore qu'une lionceau. De ses prunelles verdoyantes, parcourue d'une lueur vive, Vukia n'avait pas loupé le sourire qui s'était dessiné sur les babines du lion au pelage sombre et tailladé de cicatrices. Répliquant sans tact, elle demanda la vérité sur la présence du félin dans ce lieu. Même si Kuzimu avait un lien avec son propre clan, Vukia connaissait la réputation du mâle, ce qui lui donnait de nombreuses raisons de se méfier de lui comme d'un étranger, voire plus.

Ah mais pourquoi ne pouvait-elle pas être seule et tranquille un court instant sans que l'on vienne la déranger ? Enfin, maintenant que le lion était là, autant savoir ce qu'il faisait là justement. Elle n'aimait pas savoir cet individu si près de son clan. Malgré les liens qui unissait le mâle aux mositus, Vukia n'oubliait pas qui il était vraiment. Kuzimu était étonné de la question de la lionne. Soudain, il explosa de rire devant elle. Même si ce comportement en aurait dérouté plus d'un et que Vukia l'était certainement, celle-ci demeurait sur ses gardes, se contentant de le fixer avec mépris sans comprendre la raison de cette malsaine hilarité. Lorsque le mâle finit de rire aux éclats, le froid de ses yeux se mélangea à nouveau avec les iris de la lionne tandis qu'il répondit :

"Hah! Tu me plais, petite! Cependant, je ne connais même pas ton nom, toi qui as déjà entendu parler de moi. Ce n'est pas très poli de poser tant de question sans s'être présenté, n'est-ce-pas ?"

Mais Vukia ne répondit pas. Un grondement sourd fut émit du fond de sa gorge. Et elle ne répondrait pas. Pas tant que le lion lui même avait détourné sa question. La lionne ne faisait en aucun confiance à ce mâle et n'avait pas plus de raison de se montrer courtoise avec lui. Elle ne l'était avec personne de toute manière. Ou si peu. Si Vukia était né dans le cadre pacifiste de son clan, elle avait acquis tout ce qu'elle était aujourd'hui. A cela s'ajoutait sa mauvaise humeur du moment, dû à l'exclusion de son clan de l'oasis. Sans réponse, le lion reprit alors :

"Tu sais que ma sœur a rejoint le clan, n'est-ce-pas ? Et tu devrais savoir qu'on ne se quitte que rarement. Qu'en déduis-tu de ma présence 'si près du clan'?"

"Que tu es trop près du clan à mon goût" pensait la jeune lionne. Sa soeur ? Adeni ? En raison de son lien avec ce lion, Vukia n'avait jamais vraiment pu lui faire confiance à elle aussi. Mais la lionne ne pouvait pas tout faire, pas tout penser pour le clan. Si ce dernier acceptait l'approche d'un lion tel que Kuzimu, elle n'y pouvait pas grand chose à part le suivre d'un regard menaçant en attendant d'avoir une bonne raison pour le chasser. Lorsque le lion parla de sa soeur, Vukia se contenta d'hocher légèrement la tête pour confirmer qu'elle la connaissait, même si ce n'était que de nom. A nouveau le silence était retombé sur le passage marécageux juste après que le mâle ai expliqué les raisons de son approche ici. Après un moment, la jeune femelle déclara :

- Mon nom est Vukia, fille de Narafi.

Cela pouvait toujours être utile de qui on descendait. Sa mère était loin d'avoir une place importante dans le clan. Néanmoins, tout comme sa fille, elle avait su se débarquer des autres en devenant une sorte de guerrière pourtant si peu commun dans un clan tel que ceux des Mositus. Agée de sept ans, la lionne au pelage plus clair que celui de Vukia n'était cependant pas aussi agressive qu'elle. C'était même presque le contraire. Mais elle savait encore devenir une redoutable bête de croc et de griffe lorsque le besoin s'en faisait sentir. Une chose que Vukia devra encore apprendre : savoir départager les moments de paix et de guerre.

Quoi qu'il en soit, Vukia n'avait pas tellement de souvenir de ce lion. L'avait-elle déjà vu ou non, elle n'en savait rien. Elle était beaucoup trop jeune à l'époque où le mâle se trouvait encore parmi les siens. Il en était de même pour la soeur de ce dernier. De plus, à l'époque, la jeune lionne n'était pas du tout la même que maintenant. Elle possédait l'innocence de l'enfance, l'espièglerie des lionceaux, ne faisait pas attention aux affaires des adultes. Et ce, jusqu'à ce que sa mère décide de la prendre en main. Pourtant, le dénommé Kuzimu semblait au contraire connaître le passé de la lionne car il répondit avec un large sourire narquois :

"Ah, tu es la fille de Narafi... Je me souviens de toi, maintenant. Mais tu étais encore toute petite quand Adeni et moi sommes partis. Et tu dis toujours te faire ton propre avis de tes rencontres. Pourtant tu te ranges rapidement du côté de tes préjugés."

A nouveau, Vukia fouetta l'air de sa queue derrière de frustration suite aux paroles du grand mâle. Elle n'était pas longtemps restée sur les premières car jamais elle n'avait attaché de regard sur le passé. Et bien qu'elle pouvait paraître rancunière, le temps faisait toujours son oeuvre et le passé se contentait de faire de son présent une terrible zone à risque où il fallait sonder l'âme de chacun pour se persuader de sa bonne foi.

- Ceci n'est pas une erreur ! gronda la femelle, un avis ne se détermine pas sur un échange de quelques minutes à peine.

Gardant les sourcils froncés et fusillant le mâle de ses yeux verts, la jeune lionne bomba le torse en dressant ses oreilles aux rebords marqués de noir vers le lion avant d'ajouter :

- Mais tu frôles la vérité. Tu tiens une réputation assez forte pour que moi même j'en prenne conscience malgré mes principes ! Mais je m'en tiendrais là pour ce que le monde sait de toi et conserverait uniquement mon propre jugement.

Et son agressivité envers ceux qui se retrouvaient en attente de jugement n'était qu'un mode par défaut, dans le bénéfice du doute. Justement, les Mositus étaient plutôt du genre à se montrer pacifiste avant le jugement. Mais ce principe pouvait être fatal. Vukia avait appris à s'y prendre autrement. Elle s'adressait au mâle d'une voix forte, froide et déterminée, afin de bien lui faire comprendre qu'elle ne se laisserait nullement intimidée par la différence d'âge ou de carrure.

"Il se trouve que je reste non loin de ma famille, l'instinct de protection, tu connais, n'est-ce-pas ? Autant, tu peux te méfier de moi et de mes actions, autant, tu ne peux nier que ma présence est justifiée en ces lieux. La vie n'est plus possible ailleurs avec ces ombres noires sur Pridelands. C'est donc par sécurité que j'ai demandé la réintroduction de ma sœur chez vous. Siri m'a même proposé de revenir moi aussi." expliqua Kuzimu d'une voix plus calme.

Cette fois-ci, Vukia demeurait silencieuse. Justement pour permettre au lion de s'expliquer en détail. Sa queue se balançait de droite à gauche comme une liane tandis que ses pattes ne bougeaient pas de leur place, trempant dans un sol vaseux. Le lion se tut un moment et à nouveau le regard des deux félins se mélangèrent sans résultat car pour une fois, la lionne avait décidé de le laisser parler, bien qu'elle gardait un air agressif, elle faisait preuve d'écoute. L'idée que l'on ai pu proposé à Kuzimu de revenir au clan la sidérait mais une fois de plus, elle se garda de l'exprimer à l'extérieur.

"Il se trouve que c'est moi qui ai refusé cette pourtant si alléchante offre. Je sais que la plupart des membres ne m'apprécient guère. Je ne leur infligeraient pas ma présence régulière... Mais je ne quitterai pas ma famille, tu peux le comprendre, jeune Vukia ?"

La jeune lionne prit le temps de réfléchir. Après tout, comme cité précédemment, elle n'avait pas vraiment le choix. Elle n'avait aucun statut dans le clan. Ce que lui même acceptait, elle devait faire avec. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était garder un oeil sur l'intrus et veiller sur les siens comme elle savait si bien le faire. C'était pour cela qu'elle était là après tout. Elle ne devait pas perdre de vue son objectif, surtout qu'elle ne devait pas se focaliser uniquement sur le mâle, mais sur n'importe quel autre danger possible. Vukia ferma un temps les yeux et lâcha un profond soupire avant de replonger ses sombres prunelles dans celle du grand lion.

- Je t'aurai à l'oeil, répondit-elle comme une sorte d'affirmation à la dernière question du mâle.