Le soleil venait tout juste de déposer ses rayons chaleureux sur la Terre des Lions et l'air était délicieux à respirer. Les oiseaux chantaient joyeusement, animant le passage marécageux d'une joie de vivre propice. Un râle de satisfaction gronda dans ma gorge tandis que je me laissais tomber à même la terre rêche de ce lieu.

Délaissant la compagnie de Samekh et de sa petite famille, je m'étais éloignée prendre l'air en compagnie de mon fils. A vrai dire, depuis que le vieux lion m'avait appris sa liaison avec la princesse d'Outland, je m'étais montrée distante avec lui. Je peinais à comprendre ou peut-être même ne le voulais-je pas mais ces préoccupations semblaient désormais loin derrière moi. Ce petit bout de lion avait le don d'alléger mon cœur de ses chagrins. Il avait beau être le fils d'un démon, cela ne comptait pas. Il était avant tout mon fils, l'être le plus précieux à mes yeux. Il n'y avait que sa présence pour me faire oublier mes peines.

Le regard bienveillant, j'observais mon lionceau jouer tandis qu'un sourire étirait mes babines. Il était encore si maladroit... Les jours suivant mon accouchement avaient été particulièrement intenses. Sadaka était né avant terme et terriblement fragile à sa naissance, j'avais du le veiller jour et nuit. Bien que j'avais un temps eu peur qu'il ne survive pas, le lionceau avait fait preuve d'une volonté de vivre bouleversante. Lui comme moi avions besoin de l'autre. Être mère était quelque chose de magnifique.

Posant mon menton entre mes pattes, mes paupières se fermèrent de moitié, bercées par les miaulements du lionceau qui semblait livrer une terrible lutte contre un scarabée. Soudainement, un cri plus aiguë s'échappa des entrailles de mon fils et je me redressa, prise de panique. Courant sur ses petites pattes, Sadaka vint se réfugier entre mes pattes, le museau entaillé par l'une des pinces de l'insecte. Rassurée que le dégâts ne s'en tiennent qu'à cette petite blessure d'enfant, je lui lécha tendrement le museau pour enlever la douleur avant de l'encourager à revenir à sa lutte. Il était impensable que mon fils perde face à un scarabée... D'abord hésitant, le lionceau retrouva tout son courage et parti chercher vengeance. Le regard brillant de malice, j'assistais avec fierté à la victoire de mon fils avant qu'il ne parte trouver d'autre jeu.

C'était une belle matinée.

Sans prendre garde, je m'étais laisser aller à l’assoupissement. Mes nuits étaient fortement agitées depuis la naissance de Sadaka et le sommeil me manquait. Après avoir dévoilé ma rangée de crocs saillaient lors d'un bâillement digne de ce nom, je cherchais mon petit des yeux, sans succès. Où était-il donc passé ? Abandonnant ma place de repos, je me redressa rapidement sur mes quatre pattes, inquiète. Son air de jeu avait été délaissé et je me retrouvais seule avec pour unique compagnie mon angoisse apparente.

« Sadaka ? » appelais-je le lionceau, inquiète quant à sa disparition soudaine.

D'une foulée rapide, je suivais avec hâte la piste de mon lionceau. Quelle piètre mère je faisais pour perdre mon fils... L'odeur s'affirmait davantage au fur et à mesure de mes pas, je n'étais plus très loin. Il devait être là, quelque part... Puis je le vis et une peur que je pensais loin derrière moi me saisis. Un lion était avec lui : un lion noir.

« SADAKA ! »

La colère se mêla soudainement à l'adrénaline et d'une puissante foulée, je me précipita à l'encontre de mon lionceau. Cela ne pouvait pas être lui.... Nous avait-il retrouvé ? Je m'étais juré de toujours protéger mon fils de ses sombres origines et que jamais, au grand jamais, l'essence de son père ne s’imprégnerait de lui. Les deux silhouettes étaient encore trop éloigné pour que je puisse distinguer précisément l'identité du lion en sa compagnie mais les individus dotés d'un tel pelage ne courraient pas la savane et j'étais farouchement persuadée qu'il s'agissait là de Mopanga.

Courant à en perdre haleine, l'instinct de protection que j'avais pour mon fils surpassait ma peur du mâle que je pensais se tenir à ses côtés. Quand bien même ce dernier représentait mon pire cauchemar, je ne reculerais devant rien pour protéger mon lionceau. C'était la promesse d'une mère à son fils. Mon grondement était féroce et mes crocs dégagés, prêts à frapper le démon.

Débarquant dans une foulée pleine de rage, ma colère semblait perturber ma vision puisque je ne pris pas la peine de vérifier l'identité du mâle avant d'abattre mes griffes sur son épaule et l'éloigner au plus vite de mon lionceau. C'était lui, j'en étais persuadée. Feulant hargneusement à la gueule du lion, j'attrapais mon lionceau d'une patte protectrice pour l'attirer près de moi, en sécurité.

« Maman ? »

Perplexe, Sadaka m'observait avec des yeux ronds. Je ne remarquais aucune blessure sur son pelage à part... une propreté stupéfiante ? Interdite, je dévisagea finalement celui qui avait subi ma colère et réalisa dans un hoquet de surprise ma méprise.

« Tamariu ?! » balbutiais-je après avoir reconnu le jeune lion. « Excuse-moi, je... je t'avais pris pour quelqu'un d'autre. »

J'étais plantée là, probablement aussi stupéfaite que les deux lions. Ma peur de voir Mopanga m'enlever mon unique enfant m'avait aveuglé de colère et je n'avais pas hésité à attaquer celui qui m'avait un jour tendu la patte. Honteuse de mon erreur, le rouge me monta aux joues. S'il y avait un trou où je pouvais partir me cacher, je m'y jetterai volontiers corps et âme.

Réalisant sans doute ma gêne, Sadaka vint frotter sa tête contre mes pattes comme pour m'assurer qu'il allait bien et que je n'avais rien à craindre. Oui, je savais bien que Tamariu n'était pas un ennemi et il n'était pas non plus un inconnu. Adressant un tendre sourire au lionceau, je passa ma langue sur son front pour parfaire son nettoyage. Voilà, il était resplendissant. Reportant mon regard sur le jeune lion, je lui dis d'un air penaud :

« Désolée de t'avoir attaqué... je ne t'ai pas trop fait mal ? »

Je n'étais pourtant pas qualifiée de combattante redoutable mais l'on disait qu'une mère défendant son petit était la plus terrible des adversaires. A bien le regarder, Tamariu ne ressemblait plus vraiment à cet adolescent que j'avais autrefois rencontré. Oh bien sûr sa tête restait la même, là n'était pas la question mais ses muscles s'étaient développés et sa crinière avait prit en épaisseur. Le jeune lion était devenu grand. Un sourire étira mes babines tandis que l'observais d'un regard nostalgique.

« Nos routes ont fini par se croiser de nouveau. » dis-je d'un ton doux avant de tourner le regard vers mon lionceau. « Sadaka je te présente Tamariu, c'est une vieille connaissance de maman. »

Bien sûr ils avaient eu le temps de faire connaissance mais au moins le lionceau aurait-il un nom à poser sur ce visage. Souriant, il s'approcha du lion ébène et se frotta contre son flanc. Sans doute était-il heureux de voir un lion dont le pelage était semblable au sien. Quand bien c'était une pensée égoïste, j'espérais qu'il n'en rencontrerait pas d'autres. Sourire aux babines, j’observais les deux lions dont le pelage allait de pair.

Tous deux encore sur le choc de ces retrouvailles inattendues, nous reprenions peu à peu nos esprits et ce avec plus ou moins de difficulté. Tamariu semblait bien troublé par toute cette agitation précipitée et j'en étais malheureusement celle à blâmer. Néanmoins, un sourire éclaira mes babines à l'application du jeune lion pour me tutoyer, conformément à mon souhait. C'était mieux comme ça, non ? On ne vouvoyez que les lions de sang royal ou bien les inconnus et jusqu'à preuve du contraire, nous étions tout deux égaux -mon sang n'ayant aucune valeur sur ces terres éloignées- et depuis longtemps plus que des inconnus. Une pointe de culpabilité m'éprit en voyant Tamariu se contorsionner du mieux qu'il pouvait afin de lécher cette blessure que je lui avais infliger. Je n'avais jamais voulu lui faire du mal, ma peur avait pris le dessus.

Son compliment me fit sourire de plus belle, heureuse de voir que mon adoration pour mon lionceau était partagé. Bien sûr qu'il était mignon, c'était même le plus mignon des lionceaux. Puis le jeune lion ramassa son corps sous lui pour s'asseoir et me posa cette terrible question à laquelle je m'attendais. Quoi de plus normal après l'avoir attaqué... Un long soupir s'échappa d'entre mes crocs tandis que je caressais avec douceur le front de mon lionceau. Ce lion que j'étais prête à tuer s'il le fallait n'avait rien d'un ami, il en était même tout le contraire. Ne tenant pas à parler de ce sujet houleux en présence du lionceau, je l'invita à aller jouer quelques mètres plus loin, à l'abri de notre discussion. Cette situation ne pouvait durer éternellement mais tant que je le pourrais, je tiendrais Sadaka éloigné de la vérité sur sa naissance. Il n'avait pas à porté le poids de mes erreurs et je le protégerais avec tout l'amour que je lui portais pour que jamais il n'ait à souffrir de cette condition.

Je resta quelques temps silencieuse, hésitante quant à ce que je devais dire ou non. Quel que soit mon choix, Tamariu n'était pas dupe et il ne servait à rien de lui mentir. Le regard lourd, j'observais mon fils joué insouciamment. Si seulement il pouvait conserver cette innocence... Après un bref soupire, j'entrepris de répondre au mâle d'une voix enrouée par l'aigreur.

« Son père. Un lion que j'espère ne jamais revoir et que je tiendrais éloigné de Sadaka coûte que coûte. »

Ces cauchemars à répétitions ne cessaient de me hanter et je craignais qu'ils se réalisent un jour prochain. Jamais je ne le laisserai emmener mon fils, il n'avait aucun droit sur lui. La mâchoire serrée, mon sang bouillonnait à l'intérieur de mes veines. Quand bien même il lui ressemblait, il ne serait jamais comme lui. Je m'en assurerai.

« C'est un Nyeusis. » finis-je par me justifier bien que le pelage du lionceau parlait lui-même de ses origines.

Au moins, je pouvais être sûre que Tamariu ne jugerait pas mon enfant pour ses gênes. Lui plus que quiconque savait ce que c'était d'être jugé par sa couleur et jamais il n'infligerait le même traitement à un autre. Quiconque se permettant des propos injurieux sur mon fils s'opposerait à ma colère titanesque. On ne pouvait pas juger un enfant innocent, c'était un crime d'être immonde et sans cœur que je ne pardonnerais pas.

Mon attention se porta à nouveau sur le jeune adulte qui se tenait à mes côtés. J'étais heureuse de le revoir, notre rencontre était marqué par de bons souvenirs aussi était-ce un plaisir de le retrouver. La pureté de son regard azur m'intriguait toujours autant. Avait-on déjà vu pareil éclat dans la savane ? D'un geste vif et précis, j'ébrouais rapidement mon pelage dorée avant d'esquisser un sourire en direction du lion.

« Mais ce n'est pas le plus gai des sujets à aborder et cela fait longtemps que je ne t'avais pas vu, parles moi de toi et des aventures. As-tu trouvé une terre où vivre avec ta mère ? »

Laissant cette histoire sombre de côté, je préférais me concentrer sur le jeune lion ébène. Il était toujours agréable de prendre des nouvelles de ses amis et après tout ce temps, j'avais hâte d'entendre les histoires de Tamariu tout en espérant qu'elles aient été plus heureuses que les miennes. Bien des mois s'étaient écoulés depuis notre rencontre aux gorges et nul doute que des événements avaient frappés sa vie et son quotidien. J'avais hâte de les entendre.

Les paroles du lion ébène concernant le géniteur de mon fils résonnaient encore dans mes oreilles. J'étais flattée qu'il souhaite ainsi nous protéger mais je ne voulais en aucun cas le mêler aux Nyeusis, ils étaient bien trop dangereux pour cela. Mon esprit s'égara alors aux souvenirs de Uhucha... Je ne l'avais pas revu depuis que le mâle avait pris la direction du priderock. Que s'était-il passé cette nuit-là ? L'incertitude de savoir Uhucha en vie ou non me rendait malade. Bien que nous ayons rompus, mes sentiments à son égard étaient toujours présents. Il fallait du temps avant d'effacer de notre cœur quelqu'un que l'on avait aimé.

Le regard tendre, j'observais mon fils se loger dans les pattes du lion. Il semblait l'apprécier... sans doute était-il heureux de rencontrer un lion au pelage similaire. Un peu mal à l'aise au premier abord, Tamariu me livra finalement ses récentes aventures. J'étais attristée d'apprendre qu'il n'avait toujours pas trouvé de terre... Un lion aussi bon que lui méritait d'avoir un chez-soi. Être toléré pas les Pridelanders n'était pas suffisant, il méritait plus mais avec l'arrivée des Nyeusis, nul doute que certains lions devaient le regarder d'un mauvais œil. Serait-ce la même chose pour mon enfant ? Je voulais le protéger du monde impitoyable qu'était celui des adultes. Puis Tamariu me révéla s'éloigner de sa mère et de sa sœur adoptive et cela semblait un tantinet le préoccuper.

« Tu es pratiquement un adulte Tamariu, ton instinct te pousse donc à t'éloigner du cocon maternel pour t'affirmer en tant que mâle. »

Mon regard se voulait rassurant, c'était une pulsion naturelle après tout. Si je me souvenais bien, le jeune lion m'avait affirmé à notre rencontre ne voyageait qu'en compagnie de sa mère. Sans doute lui manquait-il une présence paternel pour le guider. Mon prunelles dorées dérivèrent alors vers mon fils. Me quitterait-il un jour, lui aussi bercé par des souhaits d'indépendance ? Je ne le souhaitais pas et si je le pouvais, je le garderais à mes côtés pour toujours mais, comment pouvais-je le brimer de ses instincts ? Lui aussi grandirait un jour et ce petit lionceau encore fragile et hésitant deviendrait un lion fort et robuste. Les premiers signes de croissance annonçaient d'ores et déjà qu'il avait hérité de son père et nul doute que Sadaka deviendrait aussi puissant que lui. J'ignorais si cela était vraiment une bonne chose...

Contre toute attente, le jeune lion me fit une proposition des plus surprenantes. M'accompagner et m'aider à élever mon fils ? Mon regard trahissait ma surprise. Je ne comprenais pas pourquoi Tamariu voulait tant m'aider, était-ce naturel pour lui d'être si chevalier ? Ne laissant pas plus longtemps le lion sans réponse, j'entrepris de lui faire savoir le fond de ma pensée non sans un brin de nostalgie auprès de notre dernière rencontre :

« Tu n'avais pas menti en disant que tu viendrais me secourir le jour où je serai en détresse, pas vrai ? » dis-je tandis qu'un léger sourire étirait mes babines. « J'apprécie ta proposition mais je suis déjà bien entourée pour m'occuper de ce petit bout de lion. Te souviens-tu de mon mentor, Samekh ? Nous sommes actuellement établis sur une parcelle reculée dans les Landes en compagnie de sa sœur et de ses lionceaux. Une petite famille atypique mais on s'y plaît plutôt bien. »

Mon regard coula alors vers mon lionceau et nous échangeâmes un regard complice. Oui, nous avions tous ce dont nous avions besoin là-bas.

« Il a l'air de t'apprécier. Il évite toujours les inconnus et pourtant il n'a pas hésité à t'approcher. Je crois que tu lui plais bien. » confiais-je sur le ton de la confidence.

Leur ressemblance en était sûrement la cause, Sadaka avait besoin de savoir qu'il n'était pas le seul à porter un pelage si sombre. Tant qu'il n'apprenait pas l'existence des Nyeusis, tout irait bien. Je savais que je ne pourrais pas lui cacher leur existence éternellement et qu'il finirait bien par apprendre la vérité un jour ou l'autre mais tant qu'il me l'était permis, je le protégerai de ses origines. Il n'avait pas à porter la malédiction de son sang, il était encore si jeune... Reportant mon attention sur le mâle plus âgé, je l'observais d'un doux regard. Bien que je comprenais pas ce qui le poussait à tant vouloir m'aider, je ne pouvais qu'apprécier ses intentions.

« Tu es déjà mon ami, Tamariu. Je te remercie pour ta proposition, tu fais preuve d'une grande bonté mais d'autres en ont sûrement plus besoin que moi. Je ne suis plus seule. » répondis-je un sourire aux babines.

Oui, j'avais Samekh ainsi que sa famille pour m'aider à élever Sadaka et comment oublier mon précieux ami cendré ? Sa présence lors de mon accouchement avait tellement signifié pour moi... Il était un précieux allié dans cette bataille que j'allais mener pour mon fils, il n'en était pas le parrain pour rien.

Quand bien même sa jeunesse, je me retrouvais encore une fois impressionnée par la maturité du lion ébène. Nul doute qu'il deviendrait un sage parmi les sages et j'étais heureuse de le compter parmi mes amis. Bien que son ton était léger, ses paroles me firent l'effet d'un pincement au cœur. Je ne voulais pas le blesser en refusant son aide seulement, j'avais d'ores et déjà une famille qui m'entourait mais je n'oublierai pas l'aide que Tamariu était prêt à me porter. C'était un lion foncièrement bon et j'étais attristée de constater qu'il errait encore seul, le sort était injuste avec lui. Il me disait être toléré par les Pridelanders mais cela n'était pas assez. Malgré sa ressemblance avec les Nyeusis, Tamariu n'avait en commun avec eux que la couleur de son pelage. La pureté de ses yeux azur ne témoignait-elle pas de sa chasteté ? Je pourrais peut-être profiter de ma relation avec Kumpa pour lui en toucher deux mots... Les Pridelanders n'étaient pas dans leur plus grande forme mais avoir un clan bien qu'exilé de ses terres était toujours préférable que d'errer seul.

La complicité entre le lion et mon fils me comblait, une alchimie certaine était née entre eux. Après avoir cajoler une nouvelle fois le lionceau, Tamariu me fit part de ses nombreuses pensées et j'écoutais avec soin, le regard doux et chaleureux. Le temps des connaissances passés, c'était aujourd'hui en amis que nous discutions et je trouvais plaisant de converser en sa compagnie. Ses paroles n'étaient jamais stupides ou irréfléchie et j'aimais entendre le fond de sa pensée. De la même manière, je réalisais que nous avions autre chose en commun puisqu'il s'avérait que son père était également un tyran, Tamariu n'avait pas du avoir une enfance heureuse d'où la raison de sa présence sur ces terres. Était-ce son histoire qui l'avait rendu si fort d'esprit ? Je le trouvais fascinant.

« Merci pour ces paroles Tamariu, je suis heureuse d'entendre tes pensées rassurantes. Je tâcherai d'élever mon fils de la meilleure manière qu'il soit du moins, si je suis à la hauteur. Être mère... c'est nouveau pour moi et je t'avoue que j'ai souvent peur de mal m'y prendre car à trop vouloir protéger Sadaka de ses origines, j'ai peur de l'étouffer. » me confiais-je au mâle en qui j'avais trouvé une oreille attentive et des paroles chaleureuses. « J'aurais aimé que les lions de cette terre pensent comme ton ancien clan car je crains que peu importe ses efforts d'intégration, il ne soit toujours vu que comme le rejeton d'un Nyeusis... Néanmoins, je sais que je pourrais toujours compter sur ton regard bienveillant. »

Un sourire rayonnant éclairait mes babines tandis que j'observais le jeune adulte. Sans le savoir, il m'apportait un grand réconfort. Délaissant le confort de la terre, le jeune lion se redressa et perdant par la même occasion son nouveau perchoir de jeu, Sadaka vint se réfugier entre mes pattes. L'accueillant avec joie, je lui donna un coup de langue sur la joue avant de le câliner de tout mon amour maternel. Mon adorable fils, prunelle de mes yeux et sang de mon sang. La voix du lion m'arracha aux marques d'affection de Sadaka et nos deux regards dorés se dressèrent vers le mâle. Chasser ? Mes pupilles brillèrent d'excitation tandis que le ventre du lionceau gargouillait discrètement.

« Ne dis pas de bêtise, tu ne m'importunes nullement et je serais très heureuse de partagé un repas avec toi. » dis-je un sourire aux lèvres. « J'ai senti quelques gazelles non loin d'ici, en direction de l'est alors si tu es d'humeur généreuse, nous t'attendrons ici même avec mon fils. »

Je ne pus m'empêcher de rire gaiement face à la situation. Lui qui n'était venu que pour se promener avait finalement rencontré un petit lion seul aussi sombre que le charbon avant que sa mère ne vienne le retrouver -mère qui était en fait une amie- et voilà que désormais il se retrouvait à chasser pour la maigre exilée et son rejeton. S'il se retrouvait piégé, j'étais pour ma part très heureuse de l'avoir retrouvée. Sa présence me faisait le plus grand bien allant jusqu'à en oublier mes malheurs et Sadaka semblait même aussi attaché que sa mère à ce lion ébène. A nous avoir au loin, il était facile de nous confondre avec une véritable famille bien que d'ordinaire, c'était la lionne et non le lion qui partait chasser mais bien qu'allant à l'encontre des règles de bonnes conduites, je ne refusais pas l'aide offerte par Tamariu. Mon corps était fatigué et une aide n'était pas de refus, Sadaka lui en serait également reconnaissant.

Pendant le temps que Tamariu était parti chasser, ma réflexion se tournait vers mon fils et l'avenir que je lui offrirai. Je ne pouvais nier la véracité de ses propos seulement comment dire à son lionceau qu'il était le fils d'un des lions les plus redoutés de la Terre des Lions ? Comment lui dire que son père était un meurtrier qui avait fait régner la terreur et surtout, comment lui dire qu'il était le fruit d'un viol ? Si mon cœur avait un jour vu en naître en lui l'once de sentiments pour Mopanga, ce dernier avait tout gâché mais qui était le plus fautif, lui ou moi ? Nous avions tous deux fauté, moi en le trahissant et lui en prenant mon honneur. Cette histoire était un drame tragique et personne, pas même Sadaka, ne pourrait apprendre une telle nouvelle avec le sourire. J'avais peur que cela le ronge de l'intérieur tout comme cela avait obscurcit mon cœur. Si lui était ma rédemption, son père avait été mon pêché.

Le petit lion logeait entre mes pattes, je prenais soin de le caresser avec amour quitte à le noyer sous mes lèches affectueuses. Je l'aimais tant... je l'aimais tant que j'avais peur de perdre sa confiance en lui apprenant ses origines mais Tamariu avait raison, c'était en lui cachant la vérité que je risquais de le perdre. En cet instant, je me promis de dire la vérité à Sadaka le jour où je jugerais qu'il serait apte à l'encaisser. Son héritage funeste était un tel poids qu'il lui faudrait la force d'esprit nécessaire pour la supporter mais je ne doutais pas de mon fils, je ne douterais jamais de lui. Malgré son jeune âge, Sadaka semblait différent des autres lionceaux, plus mâture, plus réfléchi... Il ferait un grand lion.

Le vent m'apporta finalement l'odeur du jeune Tamariu en me laissant également humer l'odeur du sang. Hmm sa chasse avait donc été fructueuse et je me léchais les babines d'avance. Je percevais à sa démarche lointaine que sa charge était lourde et me demandais quelle dose de gibier Tamariu avait bien pu me ramener... J'étais heureuse d'avoir croisé la route du lion ébène. Non seulement Sadaka avait pu voir que d'autres lions en dehors des Nyeusis possédaient un pelage semblable au sien mais cela m'avait également permit de revoir celui qui était devenu mon ami. Mes yeux s'écarquillèrent de surprise en découvrant la quantité importante que Tamariu traînait derrière lui. Le pauvre, cela avait du être terriblement pénible à transporter !

Alors qu'il m'annonçait que le dîner était servi, Tamariu semblait subitement pris de grands remords et s'empressa de faire ses excuses les plus honteuses pour avoir oser parler la bouche pleine. Interloquée, j'observais le jeune lion et la surprise passée, j'éclatais d'un grand rire franc et joyeux. Il était si gêné pour une si simple formalité que cela le rendait adorable.

« Tamariu ne sois tant gêné pour pareille chose... Ce n'est rien. »
rassurais-je le lion d'un grand sourire.

Son éducation avait du être celle d'un digne chevalier servant... Tamariu était obsédé à l'idée de venir en aide aux nécessiteux tout comme il ne manquait jamais une seule forme de politesse.

« Non non, ne prends pas cette peine. Ce que tu as ramené est amplement suffisant et je t'en remercie. Grâce à toi je vais pouvoir me nourrir convenablement ainsi que mon fils. »

A peine ses paroles furent-elles prononcés que Sadaka s'approchait avec des yeux gloutons du morceau de viande ce qui ne manquait pas de m'arracher un petit rire. Mon fils avait l'art de reconnaître la viande de qualité. Retenant le lionceau d'une patte place sur son dos, je tournais mon regard ensoleillé vers mon bienfaiteur.

« Allons, partageons cette proie que tu nous as si gentiment apporté. » dis-je en inclinant la tête vers le morceau de gazelle.

Sadaka était fraîchement sevré et ses repas de viande n'étaient pas encore nombreux aussi prenait-il un grand plaisir à découvrir cette nourriture délicieuse. Vu de loin, n'importe qui aurait pu nous prendre pour une petite famille. Pour partager ainsi une proie, cela impliquait une bonne relation entre les deux lions et qui plus est, Tamariu aurait pu aisément passer pour le père de Sadaka. Pourtant je savais que leur différence s'accentuerait avec l'âge tant le lionceau tenait indéniablement de son père. Il aurait le même pelage densément fourni, une crinière abondante ainsi qu'une taille plus grande que la moyenne... et c'était sans parler de ses muscles qui seraient probablement aussi virulent que ceux de Mopanga si le lionceau se lançait dans un entraînement de combat. Seul l'avenir nous le dira...

Le repas terminé, j'émis un râlement de satisfaction heureuse de sentir mon ventre rempli de la sorte ainsi que de nouvelles forces qui m'animaient. Quand au petit bout de lion ce dernier s'enroula confortablement en boule dans le creux de mes pattes, son petit ventre rebondi par la nourriture qui venait d'y être stocké. Si mon appétit n'avait pas été rassasié, je l'aurais volontiers croqué... La convivialité de ce bonheur nous avait tous mis de bonne humeur et un sourire se dessinait sur les babines de chacun. Rien que mieux que de partager un bon repas pour resserrer les liens entre nous.

Après avoir tendrement nettoyé les babines de mon lionceau encore ensanglanté, je posais mon regard sur le jeune chasseur. Son aide nous avait été précieuse et je considérais que de simples remerciements n'étaient pas assez. Le jeune mâle méritait tellement plus que ma reconnaissance...

« Dis-moi Tamariu, comment te remercier pour ton aide ? » finis-je par demander, me léchant une dernière fois les babines. Une idée me frappa l'esprit et dans un sourire, j'avançais au lion mon idée soudaine : « Peut-être... peut-être pourrais-je parler de toi à Kumpa ? Un lion aussi noble et débordant de gentillesse tel que toi ne devrait pas continuer à errer seul... Je n'ai aucun pouvoir de décision étant une exilée mais Kumpa est un très bon ami aussi je pourrais lui décrire quel bon lion tu es. »

Ce n'était pas une offre à proprement parler puisque je ne déciderai de rien mais plutôt une aide proposée au lion, mon aide. Malgré son pelage, Tamariu n'était pas un Nyeusis et il suffisait de se plonger dans son regard aussi pur que le ciel pour le comprendre. Qui plus est, sa carrure était loin d'être aussi athlétique que celle des lions de l'Ombre... Tamariu n'était pas un Nyeusis et les paroles de leur futur roi pourrait peut-être remettre en place les idées des Pridelanders. C'était la seule chose que je pouvais offrir au mâle et j'espérais de tout cœur qu'il accepte mon aide.

Les oreilles tirées vers l'arrière, j'écoutais avec peine le jeune lion décliner ma proposition. C'était certes une bonne chose que sa mère ait réussi avec brio son intégration mais Tamariu ne souhaitait-il pas la même réussite pour sa personne ? J'avais penser mon offre être une bonne opportunité que le mâle aurait été heureux d'accepter mais je m'étais visiblement tromper. Qu'est-ce qui pouvait retenir Tamariu d'avancer vers un tel avenir ? Oh bien sûr ma proposition n'était pas une offre à proprement parler puisque je n'avais aucun pouvoir de décision, seulement peut-être un peu d'influence sur le prince héritier mais j'étais peinée de ne pas voir le jeune voyageur saisir cette occasion, sa liberté devait être précieuse à ses yeux pour qu'il daigne autant la pousser au loin. Un peu penaude, mes yeux se mirent à briller d'exaltation lorsque Tamariu revint sur sa décision, allant cette fois-ci dans mon sens. Il acceptait ? Mais cette décision venait-elle vraiment de son cœur ou de son souhait de ne pas me blesser en refusant mon aide ? Après tout, Tamariu aurait bien été capable d'accepter un compromis qui ne lui plaisait pas dans le simple but de voir sourire un être cher à ses yeux. Véritable altruiste, il faisait toujours passer les autres avant lui, semblait même oublier par moment que lui aussi avait le droit au bonheur.

« Tu n'as pas à te sentir obliger d'accepter mon offre, cette proposition de ma part n'a pour but que de te voir heureux. C'est ton choix et non le mien, si tu l'acceptes c'est parce que tu le souhaites et non parce que tu te sens redevable envers ma personne, cela perdrait tout son sens... » répondis-je le ton doux et rassurant.

Néanmoins au fur et à mesure de ses paroles, je semblais détecter le véritable désir du lion. Être intégré tout en conservant sa liberté... Oui, une promesse de lendemain qui ne serait plus plongé dans l'incertitude mais dans le savoir qu'un clan était là pour nous, notre clan. Je comprenais son désir de liberté, moi-même y avais longuement goûter après mon exil et j'avais goût à cette vie sans restriction où j'étais libre d'aller là où je le souhaitais sans craindre de quelconques représailles : une vie libre de désir.

« Ton souhait n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde, je parlerai à Kumpa d'un jeune voyageur errant près du Baobab qui n'aspire qu'à une seule chose : aider son prochain mais je n'oublierai pas d'évoquer ton souhait de liberté ainsi que celui concernant ta famille, n'aie crainte. »

Un sourire illuminait à nouveau mes babines, heureuse de pouvoir peut-être jouer un rôle dans la promesse d'un plus bel avenir au jeune mâle. Depuis notre rencontre, Tamariu n'avait eu de cesse de m'offrir son aide sans jamais attendre quoi que ce soit en retour et j'étais heureuse de pouvoir lui rendre la pareille.

« Ça marche comme ça ! » concluais-je dans un sourire radieux, ravie d'avoir pu lui venir en aide à mon tour.

Dans un ronronnement d'aise, j'abaissais mon cou pour lécher avec délicatesse l'échine de mon fils qui s'était tout doucement assoupi contre mon poitrail. Y avait-il seulement un être plus mignon sur ces terres ? J'en doutais fort. Quittant cet instant mère et fils, mon attention se portait à nouveau sur Tamariu qui venait me questionner sur mes choix d'avenir ainsi que d'une potentiel intégration aux Pridelanders. Oui, Kumpa m'avait effectivement offert une place parmi les siens et quand bien même je l'avais décliné, il m'avait promis que ces portes me seraient toujours ouvertes.

« Je n'ai pas besoin d'être intégré à Prideland, j'ai déjà un clan et une famille... » murmurais-je tandis que mon regard s'abaisser avec douceur vers mon fils. « Tu sais, je ne suis pas partie chez les Nyeusis pour obtenir une quelconque grâce de la part de Prideland mais je dois t'avouer que peut-être ma décision a-t-elle été poussée par le désir de redorer le blason de mon mentor. Si les Pridelanders me considère aujourd'hui comme leur sauveuse alors peut-être s'interrogeront-ils de nouveau sur Samekh ? Un héros ne traîne pas avec un méchant... J'aimerais simplement qu'on cesse de le voir comme un vulgaire assassin, il représente tellement pour moi. C'est également pour cela que je ne souhaite pas rejoindre les Pridelanders, la seule personne dont j'ai besoin d'être entouré est Samekh, ma place est auprès de lui. »

Il est mon père, mon frère, mon clan, ma famille... Je n'avais besoin de personne d'autre du moment qu'il demeurait à mes côtés. Cette place qu'il occupait dans mon cœur était irremplaçable et quand bien même mon exil resterait à jamais une blessure dans mon cœur, il m'avait permis de faire la rencontre de merveilleuses personnes dont certaines avaient pris part intégrante à ma vie. En perdant ma famille, j'en avais obtenu une nouvelle qui m'avait accepté telle que j'étais, ayant connaissance ou non de mon passé. Un jour peut-être je reconsidérerais la proposition de Kumpa mais ce jour-là serait teinté d'un profond malheur et d'une nouvelle blessure dans mon cœur puisque la seule raison qui me pousserait à quitter Samekh serait qu'il ne soit plus. J'avais beau ne plus être une enfant, je redoutais sa mort avant autant d'ardeur qu'un lionceau effrayé et tremblotant devant l'irrémédiable. On ne pouvait lutter contre le Cycle de la Vie, quand bien même tout notre cœur n'est porté que vers une seule et même personne.

Ces pensées maussades me tourmentaient régulièrement ces derniers temps tant j'avais conscience que Samekh n'était pas un immortel. Tôt ou tard viendrait le jour de sa mort et je devrais m'y préparer mais serais-je seulement capable de surmonter son départ ? Chaque jour à ses côtés était une véritable aubaine et ignorer cela serait un véritable affront au lien qui nous unissait, j'ignorais malheureusement combien de temps je pourrais encore profiter de sa présence aussi ne m'aventurais-je jamais guère longtemps loin de notre repère et il était déjà temps de repartir. Chassant ma haine contre la mort, j'abordais de nouveau un franc sourire et me redressais délicatement afin de ne pas réveiller le lionceau profondément endormi.

« Je suis heureuse d'avoir eu la chance de croiser à nouveau ta route, Tamariu. Je suis persuadée que nos chemins s'entrelaceront une fois de plus dans les temps à venir mais pour l'heure, je dois m'en aller retrouver Samekh. Puissent les temps à venir t'être glorifiant et riche en expérience, tu es devenu un jeune lion remarquable. »

Affectueusement, je vins frotter ma tête contre celle du mâle devenu mon ami avant d'attraper le cou de mon fils dans la gueule, prête à le ramener vers notre foyer. Un dernier regard lancé au lion empli d'affection et de reconnaissance puis je m'éloignais, l'estomac comblé et le cœur réjoui.