Comme perdu dans un océan de noirceur, je m'enfonçais jour après jour dans les profondeurs sans pourtant en voir la fin, égal à un cycle éternel. Si autrefois les cauchemars ne m'avaient atteint que lors de mes nuit sordides, ils étaient désormais quotidien. A toute heure, ils n'en finissaient jamais. J'étais brisée et le coupable continuait de vivre insouciamment sans payer le prix de son crime.

Une voix lointaine résonna dans mon esprit mais je ne réagis pas, comme devenue sourde. Puis, une patte me toucha l'épaule et j'étouffais un cri d'horreur, rejetant de manière agressive ce contact. Non, je ne devais pas être touchée. J'étais salie. Méfiante, je redressais mon regard pour rencontrer celui d'une lionne sablée au regard bienveillant. Nawapa... elle qui ne parlait jamais élevait enfin la voix. Je pensais me souvenir qu'elle appartenait aux Pridelanders. Quand bien même je savais qu'elle ne me voulait aucun mal mais au lieu de cela m'apporter une présence réconfortante, je ne pouvais lui rendre son regard.

« Tu es la femelle de Kigeni ? » demandais-je simplement, la voix presque muette.

Ces mots s'étaient dit un naturel déconcertant tandis que je dévisageais la lionne. Tout me semblait si vide... Je ne ressentais plus, je n'espérais plus. Mon espoir m'avait été arraché par un lion noir qui m'avait laissé seule, sans rien d'autre qu'un corps à habiter. Si elle était ici pour la même raison qui m'avait poussé à infiltrer les Nyeusis, elle devait cesser ses illusions. Elle n'obtiendrais rien d'autre que la peine et la douleur. Tant que cela était encore possible, elle devait partir au plus vite.

La lumière du soleil gardait ses distances, coupée par les parois de la caverne et seule l'obscurité régnait, comme partout ailleurs sur le priderock. Je me demandais bien où elle trouvait encore la force d'aborder un tel regard quand bien même notre situation semblait désespérée. Peut-être tenait-elle encore dans son cœur cette flamme si précieuse que l'on appelait espoir.

Une pointe de déception et de peine traversa furtivement mon regard. Elle était tombée amoureuse de ce partisan des Nyeusis, quelle terrible idée. Cet amour ne produirait rien de bon, d'autant plus s'il n'était pas partagé. Le mâle se jouerait simplement d'elle et une fois lassé de son jeu, il la jetterait sans scrupule, la laissant seule et le cœur brisée. J'avais envie de lui répondre qu'à partir du moment où un ennemi de son clan faisait battre son cœur, sa loyauté n'était plus valable. Serait-elle capable de tuer cet être aimé pour son prince ? Bien sûr que non, on ne pouvait blesser ce qu'on aimait.

« Le cœur et la raison ne font pas bon ménage, tu t'en apercevra bien assez vite. »

Elle avait beau être loyale aux Pridelanders comme elle le disait si bien, son cœur lui ferait défaut. Par amour, on devenait insensé. J'étais moi aussi fidèle à mon clan et à ma famille autrefois mais par amour pour Sheru, j'avais accepté de fuir avec lui. La suite de l'histoire, vous la connaissiez tous... Je ressentais néanmoins une once de pitié pour cette lionne. Les sentiments ne se contrôlaient pas et sans doute n'avait-elle pas chercher cet amour qui lui était tombé dessus. Parviendrait-elle à se défaire de l'emprise que le mâle exerçait sur elle ?

Elle était désormais assise près de moi mais je ne la regardais pas, préférant fixer les parois de la caverne. La proximité avec ces lions noirs était aussi nuisible que du poison.

« Si l'on parvient un jour à s'enfuir de cet endroit, viendras-tu avec nous ? » demandais-je d'un ton toujours bas.

Ce jour viendrait-il seulement ? Je le souhaitais si fort mais qu'en était-il de la lionne ? Nawapa aimait Kigeni aussi me demandais-je si elle serait capable de le quitter. Être séparé de l'être aimé était une douleur insupportable. Lorsque ce jour viendra, elle devra choisir entre son amour pour le lien et sa loyauté pour Prideland. Comme je le disais, le cœur et la raison ne faisait pas bon ménage...

Un compagnon supplémentaire pour notre escapade à haut risque mais cette dernière se ferait-elle seulement ? Plus les jours passaient et plus je craignais de ne jamais voir ce moment arriver. Quand bien même mes doutes du aux sentiments de la lionne, la flamme qui brillait dans son regard ne trompait pas. Elle était déterminée à triompher des Nyeusis. Au final, ce n'était qu'une lionne malchanceuse qui était tomber amoureuse du mauvais lion. Nous faisions tous des erreurs, moi la première et il fallait être assez fort pour en affronter les conséquences.

« J'envie ton optimisme, Nawapa. » soupirais-je d'un ton las.

Malgré ses problèmes et sa liaison malheureuse, elle ne se laissait pas abattre et continuer de songer comme une Pridelander. C'était une brave lionne qui ne décevait pas la réputation de son clan. Les Nordiques et maintenant les Pridelanders... tous faisaient preuve d'une loyauté admirable à leur clan. Avec le temps, j'en avais presque oublié ce que c'était d'appartenir à une famille plus grande que celle composée par les liens du sang.

Bien que toujours sur la réserve, mes muscles se détendirent légèrement et je me faisais moins crispée. Notre rencontre ne se faisait pas dans mes meilleurs jours aussi laisserais-je certainement un souvenir amer à la lionne. Je n'aimais pas cette ombre que j'étais devenue, je la détestais même mais il m'était impossible d'agir autrement. Le choc était trop récent et le sang s'écoulait encore de ma blessure... Ce ne serait pas quelques jours mais plusieurs semaines voir mêmes des mois qu'il me faudrait pour remettre de cet incident.

J'étais là sans vraiment l'être. Un coup consciente de ces présences qui m'entouraient puis l'instant d'après recluse dans ma bulle de verre. Tout n'était que va et bien entre conscience et inconscience, réel et irréel. Mon côtes étaient plus saillantes qu'au début de ma mission et mes joues creusées par ces nuits restée éveillée. J'avais peur de dormir, peur de laisser les cauchemars imprégner mon esprits d'horreurs en tout genre.

« Excuse l'image que je te donne, je ne suis pas aussi maussade d'ordinaire. » murmurais-je le ton amer. « Si je peux te sembler méprisante, ce n'est pourtant pas le cas. J'espère seulement t'éviter mon sort. »

Dans un moment de lucidité, mon regard se posa dans celui de la lionne qui semblait tenir bon et je lui enviais cette force. Elle était brave, chose que je n'étais plus.

Les apparences étaient trompeuses et cette lionne ne semblait pas être ce qu'elle était. Quelle était son histoire ? Cela m'intriguait et pour la première fois depuis longtemps, mon esprit se détachait du mâle ébène. J'ignorais tout d'elle aussi ne pouvais-je m'avancer sur des théories mais à en croire ses mots, cette lionne avait déjà connu une situation similaire et pourtant, elle était debout et fière. Mais alors pourquoi retourner auprès d'un mâle qui ne lui apporterait que souffrance ? N'avait-elle pas assez saigné par le passé qu'il lui fallait en redemander ? Malgré mes incompréhensions, je voyais en Nawapa un exemple à suivre et l'espoir qu'un jour, je serais à nouveau dresser avec autant de fierté.

En jouant avec le feu, on finissait par se brûler. Peut-être ma stratégie n'avait pas été la bonne mais je n'avais vu aucune autre manière de me rapprocher des Nyeusis que celle de charmer l'un des leurs. Mopanga... malgré ses actes, il n'était pas un monstre comme ses semblables. Une forme de conscience subsistait dans son esprit et malgré leur préconisation, il était le plus sain des Nyeusis ou du moins était-ce le cas jusqu'à mon arrivée. Vile espionne que j'étais, j'avais manipulée ses sentiments pour parvenir à mes fins et ce démon que tous regardaient avec effroi avait bel et bien un cœur mais je l'avais brisé. Le peu d'humanité qu'il lui restait s'était envolés avec mes mensonges. Gara n'était pas responsable de la création de ce démon, c'était moi et l'on m'avait ainsi puni de mes crimes.

D'une voix douce, la lionne aux yeux rubis continuait de vouloir me réconforter. Du recul ? Cela était encore trop récent, je ne pouvais m'attabler à une telle tâche mais Nawapa marquait un point, j'avais vécu pire que cet acte barbare. Je comprenais désormais le message qu'elle souhaitait me faire passer. La mort de Sheru m'avait anéanti et mon exil laissé seule dans une errance effrayante et pourtant, ne m'étais-je relever la tête haute ? Samekh, Rono, Uhucha... mes précieux amis m'avaient aidé à tirer ma force de mon passé et devenir une lionne nouvelle, plus forte et déterminée. Fière était un grand, personne ne pouvait se vanter d'avoir été prise de force mais je m'en sortirai grandi et plus solide qu'hier. Encore nous fallait-il nous échapper d'ici...

« Là où je suis née, notre honneur est primordial et nous sommes des lions fiers. Être bafoué de la sorte est la pire humiliation. »

Le viol était un blasphème mais m'ôter mon honneur était pire. Les lions d'ici ne pouvaient pas comprendre, c'était une particularité inscrites dans nos gênes. Malgré la plus terrifiante des colères jamais un lion du Soleil n'aurait agi de la sorte, cela reviendrait à se déshonorer lui-même. Nos codes de conduite étaient stricts et notre fierté un mur que l'on voulait infranchissable. Le bafoué c'était s'en prendre à l'essence même de notre âme et c'était en cela que je ne pardonnerai jamais au mâle.

Cessant mon monologue intérieure, je penchais le regard vers la lionne qui s'était approchée pour me murmurer ses quelques paroles. Elle était d'un secours inespérée et ses mots apaisaient mon esprit. Ce que je m'apprêtais à demander était un peu indiscret mais j'avais besoin de réponse qu'elle seule pouvait m'apportée en vu de son expérience similaire.

« Comment as-tu surmonté ça ? » lui demandais-je dans un souffle.

C'était là des mots dignes d'un chef prêt à remotivés ses troupes revenue vaincues d'un lourd combat. Elle le capitaine et moi ce soldat abattu. Ces paroles étaient ce que j'avais besoin d'entendre et je sentais quelque chose renaître au fond de moi, l'espoir peut-être. Mon regard suivit machinalement celui de la lionne et j'aperçus ce lion qui avait provoqué chez elle une vive réaction : Kigeni. Leur relation semblait compliqué et je me questionnais sur le ressenti du lion vis à vis de Nawapa. Hormis lui, aucun Nyeusis n'avait posé la patte sur la jeune femelle. Elle était sous sa protection comme j'étais autrefois sous celle de Mopanga. Au moins était-elle sincère envers ses propres sentiments, chose que je n'avais pas été habilitée à faire.

Me prenant par surprise, la lionne vint replacer ma mèche d'un coup de griffe et suite à cela, j'affichais une mine surprise. Me faisais-je vraiment maternée par ma cadette ? Un sourire éclaira vivement mes babines mais, un sourire sincère. Je ne devrais pas être celle à se morfondre mais la sauveuse qui était venue aux secours des prisonnières. J'étais tombée bien bas... Que dirait Samekh en me voyant ainsi ? La simple pensée de mon mentor m'arrachait un pincement au cœur. Je voulais le voir et me rassurer de sa présence, seul lui pouvait ranimer en moi ce feu ardent inondé par les Nyeusis.

Sans cessez de me surprendre, la jeune lionne évoquait un enfant à naître. Me pensait-elle gestante ? Moi-même l'ignorait et mis à part un vide immense, je ne ressentais rien. Je coulais un regard vers mon ventre, interrogeant mes entrailles. Y avait-il là une germe que je pouvais sentir grandir ? L'idée de mettre au monde l'enfant d'un monstre me terrifiait, je ne voulais pas de son infâme héritage. Pourquoi Nawapa tenait-elle tant à ce que j'aime cet enfant dont l'existence était encore incertaine ? Mon regard se plissait dans une mine sombre tandis que je baladais mes griffes sur mon abdomen. Une telle union entre l'Ombre et la Lumière pouvait-elle aboutir à un enfant ? Mais que serait-il dans ce cas, quelle serait sa vie ? Quand bien même je pourrais l'aimer, il resterait l'enfant d'un monstre et il porterait injustement un héritage non réclamé.

« Tu as des enfants, Nawapa ? » demandais-je subitement.

Je voulais savoir ce que cela faisait d’élever le fruit d'un viol et s'il nous était possible de l'aimer sans songer à la peine et la douleur dont il est la conséquence. Cette lionne était visiblement passé par ce même chemin délicat mais sembler y avoir survécu. Cette question allait probablement réveiller en elle de vieux souvenirs qu'elle préférait oublier si elle n'y songeait pas déjà mais ce n'était pas par plaisir que je la questionnais mais par nécessité.

Inconsciente du poids de mes paroles, je fus surprise par le voile de tristesse qui assombrit la mine pourtant fière de la jeune lionne. Bien que cela n'avait pas été mon intention, je semblais avoir touché une corde sensible et ce fut d'une voix tremblante que Nawapa me confessait avoir eu un lionceau dans son désert natal mais que ce dernier était mort peu de temps après sa naissance. La mine grave, je portais un regard nouveau sur cette jeune femelle et comprenait mieux son souhait de me voir aimé mon enfant si enfant il y avait. Respectant le commémoration de la lionne, je la quittais du regard tandis que cette dernière observait le ciel, sans doute à la recherche de son fils. J'ignorais le douleur engendrée par la perte d'un enfant mais la profonde peine de Nawapa malgré les années passées ne pouvait que me laisser imaginer la fracture dans sa poitrine.

Au récit de la lionne, mon regard se dirigeait à nouveau vers mon ventre dont aucune trace d’enfantement n'était visible. Peut-être était-ce encore trop tôt pour le voir ou bien n'était-il tout simplement pas là. Quoiqu'il en soit, je réalisais que pour cet enfant, s'il devait naître, je devais garder l'espoir de m'enfuir d'ici pour ne jamais avoir à l'élever aux côtés de son infâme père. Alors que je m'étais jurée de respecter le recueillement de la lionne, une odeur salée me fit tourner le regard et c'est alors que je vis de frêles larmes perlées le long de ses joues. Maladroitement, Nawapa essuyait ses larmes avant de me sourire d'un rictus frêle et tout aussi gauche. Touchée par le passé douloureux de la lionne et ses tentatives de rester fière, je ne pouvais rester de marbre aussi me redressais-je pour essuyer d'un geste très doux une dernière larme oubliée par la lionne.

« Pardonne moi de t'avoir questionné sur ce passé que j'ignorais si douloureux. »

Oubliant ma propre peine face à celle de la lionne que je devinais plus enfouie mais aussi plus douloureuse, je lui adressa un beau sourire que je voulais réconfortant.

« Tu es une lionne brave, Nawapa. Je suis sûr que de là où il est, ton fils te regarde et qu'il est fier d'avoir une mère aussi courageuse. » dis-je dans un souffle avant de reprendre, le regard doux : « Si un enfant naît de cette union, je le chérirais et ce peu importe son père. »

Je n'avais encore jamais goûté au plaisir d'être mère mais la présence de lionceaux m'avait toujours attendri et rendu plus douce. Sheru avait pour habitude de dire que je ferrais une bonne mère, nous rêvions d'avoir beaucoup d'enfants malheureusement, ce rêve avait pris fin avec sa mort. Peut-être était-il aux côtés du fils de Nawapa à nous regarder... Nous devions nous montrer forte afin de ne pas peiner leurs esprits qui, j'espérais, nous protéger du ciel.